"DRH mission ou démission", Thomas Chardin répond à nos questions dans cette nouvelle interview.
Sommaire :
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?
D’après vous, aujourd’hui quel est le principal défi auquel un.e DRH doit faire face ?
« 52% des entreprises en France connaissent des difficultés de recrutement » Comment expliquer mais surtout comment réagir face à un tel constat ?
La digitalisation impacte-t-elle le métier ?
Comment expliquez-vous la mauvaise réputation de la fonction RH ?
La fonction de DRH est-elle amenée à disparaître ? Pourquoi ?
Un conseil pour terminer ?
1) Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?
J’ai le plaisir d’accompagner la fonction RH depuis 25 ans. De nombreuses tendances me semblaient récurrentes comme la place stratégique de la DRH. Aussi, en 2019, j’ai voulu mettre sur papier et partager mes analyses et convictions sur le contexte de la DRH, son rôle et sa mission.
L’ouvrage était prêt en février 2020, en plein COVID. Avec mon éditeur, on a préféré attendre pour voir comme la crise allait bouleverser le contenu du livre. Comme mon approche est plus tendancielle et structurelle que conjoncturelle, nous avons adapté que très peu de parties de l’ouvrage et il est sorti en avril 2021.
Au sein de Parlons RH nous essayons d’accompagner au mieux la DRH, pour l’ancrer dans le XXIème siècle comme une fonction essentielle. Ce livre y contribue modestement.
2) D’après vous, aujourd’hui quel est le principal défi auquel un.e DRH doit faire face ?
Les défis pour les DRH sont extrêmement nombreux, disparates et hétérogènes. Il y a autant de problème à résoudre qu’il y a d’entreprises.
Les différents enjeux auxquelles sont confronté les professionnels RH sont décrits dans l’ouvrage dans le premier chapitre, avec de nombreux chiffres à l’appui. De manière un peu réductrice, je les ai déclinés en trois parties : la guerre de l’image, la guerre des talents, la guerre de l’attention.
Mais pour répondre à votre question le principal défi est sans doute un devoir d’introspection individuel.
Le DRH a-t-il l’audace d’aligner sa vocation, sa mission, avec son action ?
Je sais que j’ai une forme d’injonction à l’audace, un yaka-fokeu un peu facile quand on n’est pas en responsabilité opérationnel. Mais je crois véritablement que nous vivons une période où le for intérieur RH est convoqué, le moi du DRH. Comme le dit si bien Cynthia Fleury : « Il n’y a pas de cité valide sans souci de soi. Pas d’intérêt public sans implication ni convocation du moi. Cela ne signifie pas que le moi détient l’exclusif et l’exhaustif des affaires publiques. Mais que, en tant qu’irréductible aux autres et potentiellement convocable, il est le socle sur lequel s’édifie l’intérêt collectif »[1]. Le DRH doit assumer sa posture, son rôle politique, porter ses convictions… avec audace !
3) « 52% des entreprises en France connaissent des difficultés de recrutement » Comment expliquer mais surtout comment réagir face à un tel constat ?
Nous avons voulu un ouvrage court pour qu’il soit accessible. Aussi, les aspects macro-socio-économiques de l’inadéquation de l’offre et la demande d’emploi ne sont que rapidement adressé. Notre sujet est surtout de partager un constat global, une prise de conscience, et de proposer des pistes d’actions. Vous oubliez de dire que le 52% d’aujourd’hui était 32% en 2016.
On a beau connaitre un chôme de masse, les difficultés de recrutement ne cessent d’augmenter. On en perçoit bien l’acuité aujourd’hui. Mais ce n’est pas dû à la crise mais à l’absence de prise en compte du sujet d’un point de vue systémique ! Il ne faudrait donc pas réduire la guerre des talents à cette bataille de l’attractivité. Il y a aussi la bataille de la fidélisation : le turn-over a doublé en 20 ans en France. A-t-on doublé les moyens de le mettre sous contrôle ? Et la bataille de l’engagement avec un absentéisme qui croit d’année en année pour représenter 20 jours d’absence en moyenne par an et par salarié.
Pour paraphraser Confucius, quand le sage désigne un problème RH, l’idiot regarde le recrutement. Il y a bien un problème de recrutement mais ce n’est qu’une pierre de l’édifice RH. Et ce dernier est assis sur des fondations RH du siècle précédent. La guerre des talents ne se gagnera pas avec les armes du passé.
Il faut ainsi éviter « la réaction » et ne corriger les problèmes qu’en mode pompier. Il s’agit donc d’abord d’un changement de posture, d’attitude.
Dans l’ouvrage je traite de trois pistes d’action : la concentration (sur les missions à forte valeur ajoutée), la perception (et le déploiement d’une vraie marque employeur) et l’action (en passant du courage à l’audace).
4) La digitalisation impacte-t-elle le métier ?
Bien sûr. Mais nous sommes en 2021 et la plupart des professionnels ont un déficit de culture technologique, de pratiques et d’équipement digital. Chez Parlons RH nous établissons chaque année un baromètre de l’expérience collaborateur avec des questions sur le taux de pénétration du digital sur des pratiques RH de base comme le fait d’écouter les collaborateurs, de mesurer leur perception, de recueillir leurs attentes en termes de parcours et de formation. La majorité des DRH ne sont pas équipées de solutions digitales pour monitorer ces activités RH. A leur décharge, les professionnels RH doivent faire face à un nombre hallucinant d’injonctions et d’évolutions juridico-légales. Cette gestion administrative et technique monopolise les moyens et les énergies sans véritablement créer de la valeur pour l’organisation comme pour les salariés.
Le digital est à la fois un élément de contexte – la société est en voie de digitalisation accélérée – et un moyen pour gagner en productivité et en qualité pour la DRH.
Sur l’axe contextuelle, c’est une charge de plus pour la DRH. Tout le monde doit monter à bord du train du digital. Elle doit s’assurer que personne ne reste à bord du quai numérique, notamment ceux souffrant d’illectronisme.
Sur l’axe moyen, il y a une dynamique très soutenue d’innovation en France en termes de solutions numériques dédiées à l’univers RH. On peut notamment les retrouver via le Lab RH qui recense et rassemble les meilleures start-up RH françaises.
Les DRH doivent passer de technophobes à innovatophiles et faire leur coming out digital.
5) Comment expliquez-vous la mauvaise réputation de la fonction RH ?
Je n’aime pas le RH bashing. Je sais que je ne suis pas tendre avec la fonction RH mais qui aime bien châtie bien. J’aime la fonction RH et les professionnels qui l’exerce mon souhait et qu’ils réussissent.
Sur le sujet de l’image de la fonction RH j’y consacre une première partie. Je crois que la fonction RH est devenue à son corps défendant la mal-aimée de l’entreprise, le bouc émissaire de l’époque. Elle a un rôle important à jouer en termes de pédagogie de son rôle et de sa mission, d’information et de communication. Encore faut-il s’accorder sur sa mission.
6) La fonction de DRH est-elle amenée à disparaître ? Pourquoi ?
Je ne le pense pas du tout et surtout je ne le souhaite pas. Je milite au contraire pour qu’elle prenne toute sa place dans l’entreprise et dans la société, qu’elle s’adapte et qu’elle fasse mieux écho au monde. Les RH sont des tisseurs, des relieurs, des entremetteurs. Ils doivent se préoccuper du lien. Pas du lien de subordination et de sa licéité sous-tendue par le contrat de travail. Non, du lien social, celui qui permet de passer de la collaboration (le partage du labeur, de la difficulté, du sang, des larmes et de la sueur) à la coopération (le partage du bien commun, de l’opus, de l’œuvre à réaliser ensemble). Le R de DRH doit prendre toute sa place ; c’est le R qui Relie le D de la Direction, celle qui donne le sens de l’action, et le H d’Humain.
Nous en avons encore plus besoin aujourd’hui.
7) Un conseil pour terminer ?
Pas vraiment un conseil, une inspiration qui nous vient de Goethe :
“Quoi que tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir, de la magie.”
[1] Cynthia Fleury, La fin du courage
Chardin T., DRH Mission ou Démission, Diateino, Presses des Mines, avril 2021.
Une interview de Thomas Chardin par Tiphaine Rabolt pour FoxRH.
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