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Sophie Vernay

"En l'absence de confiance, l'individu ne peut se développer dans l'entreprise&quot


Au départ de la réflexion collective que j’ai coordonnée avec l’Institut Montaigne sous la présidence de Clara Gaymard, et qui a donné naissance à la parution de l’ouvrage « et la confiance bordel ? », il y a eu un constat. Alors que certains environnements de travail créent de la confiance, beaucoup d’autres au contraire la détruisent. Et une question : comment se fait-il qu’en France la chaîne de la confiance présente une telle fragilité, dont découle la difficulté à réformer aussi bien l’État que les entreprises ? Le collectif pluridisciplinaire d’auteurs signataires de ce livre propose une lecture systémique, où chacun éclaire un aspect du sujet à l’aune de sa propre compétence. Quant au titre, il s’agit en effet d’un cri de colère, d’un cri du cœur pour dire que la défiance n’est pas une fatalité. L’ouvrage explique comment il est possible de sortir de cet état d’esprit « plombant » , avec la volonté des dirigeants et des actions concrètes permettant de restaurer de la confiance : ce qu’on a appelé le « premier pas ». L’étape d’après a consisté à mesurer précisément celle-ci, en la considérant comme un "actif" qui, aujourd’hui, n’est pas pris en compte en tant que tel au sein des organisations.

D’où le lancement du programme Confiance & Croissance et la création de « l’indice du capital confiance en entreprise© »...

Ce programme parrainé par l’Institut Montaigne et par Raise vise à mieux comprendre les différentes dimensions du capital confiance, et à permettre aux entreprises d’évaluer la confiance de leurs cadres. Il a pris dans un premier temps la forme d’une enquête réalisée par TNS Sofres en juillet 2015 auprès de plus de 1 000 cadres d’entreprises publiques et privées de plus de 250 salariés. Puis les réponses ont été modélisées par l’économiste Yann Algan et la sociologue Maria Giuseppina Bruna afin d’analyser les enjeux de la confiance en entreprise, les leviers pour la stimuler ainsi que ses impacts sur le plan humain, social et économique.

1°) Pensez vous que l’origine du stress en entreprise est le résultat d’un déficit de confiance ?

J’irai plus loin encore, je dirai qu’en l’absence de lien de confiance, l’individu ne peut ni se développer, ni se réaliser dans l’entreprise et ce peut-être source de grande souffrance au delà même du stress. Il existe une échelle du stress en fonction de la nature de la défiance que la personne éprouve.

Pour mesurer cet impact, il faut comprendre comment s’articule le rapport de confiance qui unit le cadre à son entreprise.

Notre recherche a mis en évidence cinq grandes briques combinées qui constituent ce lien de confiance.

La première dimension clé pour les collaborateurs dans le rapport de confiance qui les unit à l’entreprise est la façon dont ils considèrent l’image globale de celle-ci, tant vis à vis de l’interne que de l’externe, de sa performance et de sa capacité à relever de nouveaux défis. Ils se placent dans un rapport avant tout d’exigence économique et de rationalité. La confiance dans les dirigeants vient tout de suite après dans le poids des variables de la confiance : sa capacité à incarner les valeurs affichées par l’entreprise, la sincérité de son discours, sa capacité à aplanir les clivages avec les organisations syndicales, entre supérieurs hiérarchiques et employés et la pertinence de ses choix stratégiques. Le troisième niveau logique du capital confiance dont le cadre dispose repose sur sa propre confiance en lui-même : se sent-il considéré en tant qu’individu, dans l’entreprise ? A-t-il confiance dans son avenir au sein de l’entreprise ? La façon dont le cadre ressent l’engagement sociétal et environnemental de son entreprise et plus largement la façon dont il se « reconnaît ou non » dans son système de valeur est la quatrième brique majeure du capital confiance qu’il engrange. Enfin celui-ci trouve son dernier élément composite dans les liens de confiance que les cadres entretiennent avec leurs collègues, supérieurs hiérarchiques, employés et pairs.

Lorsque le collaborateur n’a pas confiance dans ses dirigeants mais confiance dans son équipe, et confiance en lui même, alors il éprouve une forme de désenchantement qui peut aller jusqu’au cynisme. Mais lorsqu’il n’a pas confiance dans l’avenir économique de l’entreprise il est bien davantage sujet au stress. Et lorsqu’il se déclare en rupture avec les valeurs de l’entreprise, alors c’est inévitablement une source de souffrance pour le salarié.

L’absence de confiance en soi, dans l’autre, dans son avenir économique ou dans ses collègues de travail sont à l’origine d’angoisse, souffrance, de burn out dans le pire des cas.

Dans l’entreprise, il faut comprendre que le contraire de la confiance n’est pas seulement la défiance mais plus surement la peur qui est une émotion à l’origine de bien des burn-out, voire des passages à l’acte. La confiance est le lien élémentaire sans lequel aucune transaction n’est possible et elle est multi-facette.

2°) Que conseilleriez-vous à un manager pour instaurer un climat de confiance avec ses collaborateurs ?

Si l’on exclut les personnalités difficiles, les manipulateurs, les managers en grande majorité recueillent la confiance de leurs collaborateurs. Dans toutes les études réalisées sur le sujet plus la proximité avec les managers est grande plus le lien est positif. C’est davantage avec l’institution, la direction générale, la DRH, les syndicats que s’exprime une plus grande défiance. Le pré-requis pour un manager est bien sûr sa légitimité professionnelle sans laquelle il ne gagne pas le respect de ses équipes, or il ne peut y avoir de confiance sans respect. Ce pré-requis admis, se pose nécessairement la question du rôle attendu du manager et des compétences associées. Or ces dernières évoluent. Nous sommes passés d’un profil type du manager, hiérarchique, centré sur l’expertise métier à un manager coach, charismatique, d’influence oblique, capable d’organiser le débat et d’entrainer le groupe. Cette nouvelle donne suppose que les managers aient une grande confiance en eux-mêmes pour soutenir l’évolution de leurs collaborateurs, présentent une bonne solidité intérieure pour accueillir et valoriser les compétences qu’ils n’ont pas mais dont ils ont besoin autour d’eux, qu’ils se connaissent bien, acceptent la différence, la mixité, l’altérité et composent avec la richesse d’un débat ouvert. Pour cela ils doivent également se sentir soutenus dans leur prise d’initiative par leur propre hiérarchie… Au delà de ces changements de postures managériales, la bienveillance, le droit à l’erreur, la reconnaissance, l’équité de traitement forgent la qualité du lien et la base des relations de confiance.

3°) Existe t-il encore de la confiance entre collaborateurs dans des entreprises où les objectifs sont devenus maîtres ?

C’est une question un peu radicale à laquelle il est difficile de répondre sans généraliser. Mais ne soyons pas naifs, une entreprise a besoin d’objectif pour piloter son développement et il est normal qu’elle travaille avec ces outils. Cependant « une entreprise où les objectifs sont devenus maîtres » pourrait être un environnement qui sacrifierait la qualité du service ou la conscience professionnelle de ses collaborateurs à la réalisation d’objectifs à tout crin. Cette logique dans laquelle il s’agit d’obtenir le maximum des autres (clients, fournisseurs ou collaborateurs) en très peu de temps peut bien sûr générer de la productivité, de la croissance. Mais en réduisant ses collaborateurs à une activité mécaniste d’exécution, en les plaçant dans une relation asymétrique d’exigence autocratique, sans souci de préservation de la relation, l’entreprise menace le lien de confiance voire le détruit de façon irréversible : car elle neutralise l’initiative, le raisonnement, voire. Elle s’inscrit nécessairement dans une vision court-termiste et auto-destructrice de terre brulée opposée à une logique de croissance durable qui préserve l’écosystème humain

4°) La confiance ne se décrète pas. Comment fait-on pour l’installer au sein d’une entreprise ? le dialogue social est-il important pour instaurer de la confiance dans l’entreprise ?

D’abord ni le secteur d’activité ni la taille de l’entreprise ne jouent significativement : le niveau de confiance est à peine plus élevé dans les PME que dans les grandes entreprises et ETI. L’âge, le sexe, la fonction des répondants ne sont pas apparus non plus comme des paramètres déterminants. Ce qui joue vraiment dans la développement ou au contraire l’appauvrissement du capital confiance, c’est la façon dont l’entreprise réinvente d’un côté, une relation managériale plus horizontale et de l’autre une politique de dialogue et d’engagement plus ouvert.

Ce sont les deux grands deux ressorts de l’entreprise inclusive, celle qui met tout le monde à bord. Le premier levier est un management reconnaissant la place, la valeur et la contribution de chaque individu au projet commun. Ce qui se traduit par des politiques de rémunérations équitables, un fonctionnement plus coopératif que hiérarchique, de la délégation et l’encouragement à la prise d’autonomie, etc. L’autre levier, consubstantiel, réside dans une politique de dialogue et d’ouverture. Celle-ci s’exprime par un projet collectif, des dispositifs RSE, une refonte du dialogue social, une circulation transparente de l’information, l’ouverture à l’altérité, la facilitation des réseaux et de la communication horizontale, etc.

5°) Pensez-vous que l’arrivée des nouvelles générations sur le marché du travail changera le cours des choses en termes de confiance ?

Leurs modes de pensée, leur façon d’agir et d’interagir sont fondées sur la confiance et le partage. Nous venons d’une génération dans l’entreprise qui raisonnait "propriétaire" : "ma direction", "mes équipes", "mon information", "mes outils"... tout cela fonctionnait en silos. Les jeunes générations sont en passe de faire éclater ce modèle cloisonné, pour elles contre nature. Aujourd’hui les jeunes raisonnent par cycles : ils souhaitent pouvoir partir demain faire un projet humanitaire, puis revenir dans l’entreprise ou créer autre chose. Ils veulent un monde ouvert, et c’est ce que l’on doit inventer dans les organisations si l’on veut garder cette richesse humaine.


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