Le thème de la souffrance au travail a été popularisé ces dernières années. Or très peu d’enquêtes ont été réalisées sur la population des cadres parce que leur malaise est peu visible. Il n’en est pas moins profond. Les médias se font parfois l’écho de cadres qui se révoltent… mais ce sont les exceptions qui confirment la règle ! La plupart des cadres souffrent en silence. Au travers de son ouvrage : "le silence des cadres : enquête sur un malaise" aux éditions Vuibert, Denis Monneuse nous retrace l'historique de la fonction cadre et les raisons d'un malaise qui l'entourent depuis maintenant plusieurs décennies.
Qu’est ce qui vous a poussé à écrire cet ouvrage ?
On parle du malaise des cadres depuis plusieurs décennies sans réellement définir ce que l’on entend par cette notion. J’ai aussi voulu savoir si ce malaise était un mythe ou une réalité. Le déclencheur a été un rendez-vous avec un directeur général adjoint d’une grande entreprise qui se sentait lui-même en proie au malaise des cadres !
Pouvez vous nous retracer rapidement l’origine du « statut » de cadre ?
Ce statut est né dans les années 1920. Il concernait ceux que l’on appelait les ni-ni car ils n’étaient ni ouvriers ni capitalistes : les ingénieurs, les managers, les experts… Il s’agissait à l’époque de l’élite du salariat : ceux qui avaient fait des études supérieures, ceux qui avaient fait leurs preuves dans l’entreprise et avaient ainsi gagné la confiance de la direction générale.
Pourquoi y a-t-il autant de cadres en entreprise qui « n’encadre qu’eux-mêmes » ? Le statut n’est-il pas aussi recherché par les candidats pour son pseudo prestige ?
Le nombre de cadres a doublé depuis les années 1980. C’est une manière pour les entreprises de faire de la reconnaissance non monétaire : elles encouragent les salariés en leur faisant croire à une promotion sans nécessairement les augmenter en conséquence. Cela permet aussi de faire passer des salariés en forfait jours au lieu de rester aux 35h. C’est par exemple le cas pour des assistantes de direction. Le statut de cadre correspond donc de moins en moins à une position de management.
Est-on à un moment charnière où ce statut pourrait disparaitre au dépend d’un autre qui oscillerait entre l’ETAM et le cadre sup ?
Il n’y a aucun projet à ma connaissance de faire évoluer le statut de cadre. Ce qu’on observe, c’est une augmentation des « cadres supérieurs ». C’est souvent uniquement un titre honorifique qui permet de compenser la banalisation du titre de cadre.
On parle beaucoup de burnout chez les cadres (cf. article sur le burnout) mais que pensez vous du boreout ?
C’est le concept à la mode. La question de l’ennui au travail ou du sous-travail est loin d’être nouvelle. Je ne pense pas que beaucoup de cadres s’ennuient par manque d’activité. En revanche, il peut exister une lassitude.
Qu’est ce qui explique ce malaise dans la fonction cadre (peu de reconnaissance, missions redondantes, pression,…) ? Le différentiel entre le prestige du statut et la réalité du poste n’est-il pas aussi un facteur de désillusion ?
Je vois trois malaises :
Un malaise identitaire dû à une diminution du prestige, donc de la reconnaissance externe de ce statut. Il affecte ceux qui ne disposent pas d’une autre facette identitaire d’ordre professionnel à laquelle se rattacher : un métier bien défini, un diplôme valorisant, un secteur d’activité attractif, un statut plus précis (cadre-dirigeant, haut potentiel…), etc.
Un sentiment d’iniquité mesuré par le ratio contribution/rétribution. Le sentiment d’être perdant en la matière concerne tout de même 40 % des cadres, d’après les études de l’Apec. On retrouve ici en partie le malaise des classes moyennes.
Un mal-être dû au manque de sens et aux conflits de valeurs qui renvoie plutôt à des problématiques personnelles, à la capacité de chacun de trouver (ou non) la situation de travail qui sied à sa personnalité, au sens où elle permet de se sentir à sa place, à l’aise avec le contenu de l’activité, en adéquation avec soi-même. Il touche surtout les femmes ayant des enfants en bas âge, écartelée entre réussite professionnelle et réussite familiale, ainsi que des seniors qui ont l’impression que la qualité du travail se dégrade à mesure où la réactivité devient la première qualité recherchée. « Le réflexe remplace la réflexion » regrettent certains.
Vous consacrez votre dernier chapitre à la nouvelle génération. Pensez vous que l’arrivée de cette dernière dans l’entreprise va changer fondamentalement les relations au travail ?
Les jeunes cadres cherchent avant tout à s’intégrer, donc ne cherchent pas à révolutionner les pratiques managériales. Mais ils sont porteurs d’une culture un peu différente, du fait de leur éducation et de leur accoutumance aux nouvelles technologies. Les entreprises se transforment surtout pour tenter de gagner en souplesse et en réactivité sur leur marché, pas parce qu’elles ont embauché 3 jeunes cadres.
Pour finir, le fait de recruter des profils trop qualifiés par rapport au poste en leur octroyant le statut de cadre, qui n’est rien d’autre qu’une coquille vide, n’est-il pas le début du problème ?
Effectivement, le statut de cadre est parfois une fausse promesse : il s’agit de ne pas compter ses heures sans nécessairement être proche de la direction, sans avoir de poids sur la stratégie et sans avoir d’autonomie réelle. Certains restent toutefois sensibles à ce statut qui peut représenter une promotion sociale, au moins sur le papier, par rapport à leurs parents. Les Français sont attachés au sens de l’honneur, donc aux titres. D’où l’augmentation de « cadres supérieurs » aujourd’hui. Les cadres ne sont pas nécessairement dupes mais un beau titre permet de mieux se revendre sur le marché du travail… et fait du bien à l’égo !
Merci à Denis Monneuse que vous pouvez retrouver dans ses activités de directeur de cabinet de conseil sur son site : poil-a-gratter.com