Le licenciement pour insuffisance professionnelle est source d'un important contentieux en raison de l’absence de dispositions légales précises définissant cette notion. C'est la jurisprudence qui, au fil du temps, a élaboré les critères de l'insuffisance professionnelle.
L’insuffisance professionnelle désigne l’incapacité du salarié, sans lien avec l’aptitude physique au travail, à remplir les fonctions ou les tâches qui lui sont confiées par l’employeur. Elle constitue un motif personnel de licenciement.
Cette notion est plus difficile à cerner que la faute.
En effet, alors que la faute se caractérise par une action positive du salarié qui manque, par cette action, à ses obligations, l'insuffisance professionnelle révèle plutôt des carences dans l'accomplissement des missions et des responsabilités qui incombent à l'agent. Ainsi, l’insuffisance professionnelle n’est jamais fautive.
L’appréciation de l’insuffisance professionnelle d’un salarié relève en principe du seul pouvoir de direction de l’employeur. Cette appréciation peut s’avérer délicate notamment lorsque le salarié a un statut protecteur, une certaine ancienneté ou lorsque ses entretiens individuels sont satisfaisants. Néanmoins, les juges du fond peuvent également intervenir et apprécier l’existence de l’insuffisance professionnelle, voire rétablir la véritable qualification du licenciement en cas de motif erroné.
Sommaire :
1. Les critères de l’insuffisance professionnelle.
2. Incidence du statut particulier du salarié.
3. Le pouvoir des juges du fond de requalifier le motif licenciement.
1. Les critères de l’insuffisance professionnelle.
Compte tenu des différentes raisons qui peuvent empêcher un salarié d’effectuer correctement son travail ou d’atteindre ses objectifs, l’insuffisance professionnelle est assez difficile à apprécier. Si l’insuffisance professionnelle peut motiver un licenciement, c’est à condition qu’elle soit établie par l’employeur. La jurisprudence a permis d’identifier plusieurs situations dans lesquelles le licenciement pour insuffisance professionnelle est fondé.
Ainsi, l'insuffisance professionnelle du salarié sera caractérisée si l’insuffisance repose sur des éléments objectifs, précis et vérifiables[1], si l’insuffisance est durable, et imputable au salarié[2], c'est-à-dire ne résultant pas d'un manque de moyens matériels[3] ou de mauvaises conditions de travail[4], telles que des cadences de travail démesurées[5].
L’employeur devra également s’assurer que les tâches confiées correspondent bien à la qualification et à la fonction pour laquelle le salarié a été engagé[1] et qu’il a assuré l'adaptation du salarié à l'évolution de son poste de travail, en le faisant bénéficier d'actions de formation nécessaires. [2]
2. Incidence du statut particulier du salarié.
- Le licenciement pour insuffisance professionnelle est-il possible pour un salarié protégé ?
Le statut protecteur du salarié n’empêche pas son licenciement pour insuffisance professionnelle. En revanche, l’employeur devait jusqu’à maintenant suivre une procédure spécifique.
En effet, le Conseil d’Etat imposait, depuis 2009[1], la recherche d’un poste de reclassement préalablement au licenciement du salarié protégé pour insuffisance professionnelle.
Toutefois, l’arrêt très récent de la Cour administrative d’appel de Versailles[2] va à l’encontre de cette jurisprudence et indique « qu’aucun texte législatif ou réglementaire, ni aucun principe n’impose une obligation de reclassement à un employeur qui souhaite licencier un salarié auquel il reproche une insuffisance professionnelle ».
Face à cette divergence, les employeurs ont tout intérêt à rester vigilants quant à l’actualité jurisprudentielle, voire, en l’état, continuer à faire une proposition de reclassement.
- Le licenciement pour insuffisance professionnelle est-il possible alors que le salarié a une ancienneté assez importante ?
L’ancienneté ne constitue pas une protection absolue contre un licenciement pour insuffisance professionnelle bien que ce soit un critère pris en compte par les conseillers prud’hommaux lors d’une contestation.
Il n’est pourtant pas rare de lire des décisions dans lesquelles les employeurs licencient pour insuffisance professionnelle des salariés justifiant de 15 ans ou 20 ans d’ancienneté[1].
L’employeur doit alors justifier ce licenciement par un changement de contexte, de poste, d’objectifs, auquel le salarié n’a pas su s’adapter malgré les formations mises à sa disposition.
- Le licenciement pour insuffisance professionnelle est-il possible alors que les entretiens individuels sont satisfaisants ?
L’entretien d’évaluation permet d’apprécier les compétences du salarié sur l’année écoulée, ses points forts, ses points faibles, les difficultés rencontrées et les solutions pour y remédier.
Si pendant cet entretien, l’employeur donne une appréciation positive au salarié, il doit avoir conscience que cette évaluation pourra éventuellement être utilisée comme preuve afin de contester le licenciement pour insuffisance professionnelle.
C’est précisément ce que la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 22 mars 2011 indiquant que « le licenciement pour insuffisance peut être injustifié si le compte rendu de l’entretien d’évaluation organisé quelques mois avant reconnait les compétences du salarié »[1].
Il sera donc déconseillé aux employeurs d’envisager ce fondement pour licencier un salarié dont les évaluations sont satisfaisantes.
3. Le pouvoir des juges du fond de requalifié le motif du licenciement.
Le pouvoir de requalification des juges du motif erroné du licenciement révèle l’enjeu auquel est confronté l’employeur lors du choix de la qualification de la mesure.
En effet, à défaut d’une qualification fondée, l’employeur devra réparer les conséquences d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et sera condamné à verser des dommages et intérêts.
Prenons l’exemple d’un arrêt en date du 15 décembre 2011[1] dans lequel un salarié, licencié pour insuffisance professionnelle, l’avait contesté estimant qu’il présentait un caractère disciplinaire. L’enjeu était important puisque cela lui permettait de soulever la prescription des faits.
Si la Cour d’appel avait confirmé l’absence de caractère disciplinaire, la Cour de cassation a quant à elle, estimé qu’il s’agissait d’un licenciement pour faute et a censuré l’arrêt d’appel aux motifs suivants :
« Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la lettre de licenciement énonçaient comme motifs de la mesure un comportement de « défiance », « délibérément négatif », s'illustrant par des « critiques systématiques à l'égard de sa hiérarchie » et teinté d'une « ironie visant à déstabiliser la hiérarchie », ce dont il résultait que le licenciement avait été prononcé pour des motifs disciplinaires et qu'il lui appartenait de vérifier si les dispositions applicables aux licenciements disciplinaires avaient été respectées, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; ».
C’est le motif de la rupture mentionné dans la lettre de licenciement qui détermine le caractère disciplinaire ou non du licenciement. Cet arrêt nous rappelle le rôle déterminant de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige lorsque le licenciement est contesté.
Ce rôle déterminant est également illustré dans l’arrêt de la Cour de cassation du 9 mars 2022[2]. En l’espèce, un salarié avait été engagé en tant qu’assistant responsable de ligne de produits avant d’être promu directeur d’exploitation générale.
Quelques années plus tard, il a été convoqué à un entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire. A la suite de cet entretien, il s’est vu proposer un poste de directeur d’exploitation sectorielle avec une rémunération mensuelle réduite, ce qu’il a refusé, considérant qu’il s’agissait d’une rétrogradation. Il a par la suite été licencié pour insuffisance professionnelle.
Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes pour contester cette rupture et a obtenu que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, ensuite saisie du litige, avait effectivement jugé que le licenciement du salarié était dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors qu’antérieurement à la lettre de licenciement fondée sur une insuffisance professionnelle de ce dernier, l’employeur avait engagé une procédure de rétrogradation disciplinaire.
Pour autant, le 9 mars 2022, la Cour de cassation a jugé que la cour d’appel avait violé l’article L.1232-6 du Code du travail au motif que peu importe la proposition faite par l’employeur d’une rétrogradation disciplinaire refusée par le salarié, c’est le motif de la rupture mentionné dans la lettre de licenciement qui compte. Il revient donc à l’employeur de justifier que le motif mentionné dans la lettre de licenciement est bien fondé.
Il est donc particulièrement nécessaire d’être vigilant lors de la rédaction de la lettre de licenciement.
[1] (Cass, soc, 25 janv 2006, n°04-40.310) [2] (Cass. soc. 7-1-1988 n° 85-40.010 D) [3] (Cass. soc. 10-12-1991 n° 90-44.768 D) [4] (Cass. soc. 17-12-1987 n° 85-42.058 D)[5] (Cass. soc. 24-10-1989 n° 86-43.771 D)[6] (Cass. soc. 16-5-2001 n° 99-41.492 F-D)[7] (Cass. soc. 2-2-1999 n° 96-44.340 D : RJS 3/99 n° 350)[8] (Cass. soc. 21-10-1998 n° 96-44.109 D : RJS 12/98 n° 1454).[9] (CE, 7 décembre 2009, n°315588)[10] (CAA Versailles 17-6-2022 n° 20VE02541, Sté SAS Bergams : RJS 8-9/22 n° 459)[11] (Cass. soc. 16-5-2018 n° 16 25.552 F-D, A. c/ Sté Air Liquide France industrie)[12] (Cass. soc., 22 mars 2011, n° 09-68.693)[13] (Cass, soc, 15 décembre 2011, n°10-23.483) [14] (Cass, soc, 9 mars 2022, n°20-17.005)
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