Que faire quand on est victime ou témoin de harcèlement moral au travail ? Comment se protéger ? Comment se défendre ? Avec une double approche psychologique et juridique, Maitre Litzler nous apporte dans son ouvrage Harcèlement moral au travail Comprendre et se défendre un ensemble de réponses pratiques, illustrées par des témoignages de victimes et des exemples d’affaires jugées. FoxRH a rencontré Maitre Litzler qui nous fait le plaisir de répondre à quelques questions sur ce sujet complexe.
Quels sont les critères à retenir pour définir le harcèlement moral ?
L’employeur doit se garder d’avoir un comportement humiliant ou vexatoire à l’égard de son personnel et il doit également faire en sorte que les salariées aient une attitude respectueuse entre eux.
Le code du travail définit le harcèlement moral de la manière suivante : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
(Article L1152-1)
Ainsi, il résulte de cet article que le harcèlement moral est défini par ses conséquences, qu’il doit exister des actes répétitifs, sans notion particulière de durée ; la jurisprudence a d’ailleurs déjà reconnu des cas de harcèlement moral sur de courtes périodes, mais aussi lorsque les agissements sont très espacés dans le temps.
La loi ne désigne pas un auteur particulier et le harcèlement peut émaner de l’employeur, d’un supérieur hiérarchique, mais aussi de collègues, de subordonnés ou encore, d’un tiers à l’entreprise.
Lorsque le harcèlement émane du supérieur hiérarchique, on parle d’un harcèlement vertical descendant, lorsqu’il émane d’un subordonné, ce sera un harcèlement vertical ascendant, et enfin entre collègues, on évoquera un harcèlement horizontal simple ou collectif.
Il faut donc quatre critères pour que le harcèlement à l’égard d’une personne puisse être retenu :
Des agissements ;
Des agissements répétés, qui ne sont pas obligatoirement les mêmes ;
Des agissements qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail ; une intention malveillante n’est pas nécessaire,
Susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; ainsi il peut s’agir d’un préjudice réel ou simplement potentiel.
Le harcèlement moral est également pénalement répréhensible et, le code pénal en donne une définition assez similaire à celle du code du travail. (Article 222-33-2 du code pénal) Les critères susvisés se retrouvent.
Quelles sanctions encourt une personne qui se rendrait coupable de harcèlement moral ?
Il est prévu par le code du travail que « tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire ». (Article L 1152-5)
Le salarié qui se rend coupable de harcèlement moral pourra donc être sanctionné, la mesure pouvant aller jusqu’à son licenciement.
Par ailleurs, si un salarié se considère harcelé par son employeur, il pourra saisir le Conseil de prud’hommes et demander des dommages et intérêts pour être indemnisé de son préjudice.
Mais, si l’auteur d’un harcèlement moral est poursuivi devant le Tribunal correctionnel, il va alors encourir une peine de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende, en vertu de l’article 222-33-2 du code pénal.
De plus, lors du procès pénal, la victime pourra se constituer partie civile et l’auteur risquera alors d’être aussi condamné à lui verser des dommages et intérêts.
Concrètement, quels sont les cas constitutifs de harcèlement moral ?
Le Code du travail n’apporte pas de précisions quant aux agissements pouvant être qualifiés de harcèlement moral.
Aux termes de l'accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail, il est dit que « le harcèlement survient lorsqu'un ou plusieurs salariés font l'objet d'abus, de menaces et/ou d'humiliations répétés et délibérés dans des circonstances liées au travail, soit sur les lieux de travail, soit dans des situations liées au travail. »
Le harcèlement moral peut se manifester par une multitude d’agissements. Le sociologue et psychologue Suédois, Heinz LEHMANN a répertorié 45 agissements (Livre « La persécution au travail » Le Seuil) et il s’agit de comportements très similaires qui vont être retenus par les tribunaux.
En effet, le harcèlement peut notamment résulter de la répétition d’agissements tels que :
La modification des fonctions et conditions matérielles de travail (par exemple : installation dans un bureau aux dimensions restreintes, le retrait sans motif du téléphone portable à usage professionnel, d’imposer une obligation nouvelle et sans justification consistant à se présenter tous les matins au bureau de son supérieur et de lui attribuer des tâches sans rapport avec ses fonctions),
La rétrogradation ou une affectation à des fonctions sous-qualifiées,
L’isolement de la personne (changement de bureau en éloignant la personne de son équipe habituelle, ne plus convoquer la personne a des réunions régulières où elle devrait normalement venir en raison de ses fonctions),
La mise en cause injustifiée de l’autorité d’un cadre,
Le défaut de fourniture de travail,
L’augmentation ou diminution de la charge de travail, dans certaines situations,
Des critiques irrespectueuses et injustifiées,
La répétition de sanctions disciplinaires injustifiées,
La mise à l’écart,
L’intrusion dans la vie privée,
Les menaces ou insultes,
Des pressions,
Des humiliations et intimidations, notamment en public,
Un dénigrement, etc.
Par ailleurs, la Cour de Cassation a jugé depuis plusieurs années qu’un système de management peut également être générateur de harcèlement. (Cass., Soc., 10 novembre 2009, n° 07-45.321).
Comment peut-on prouver un cas de harcèlement moral au travail ?
Le salarié n’a pas à apporter la preuve du harcèlement, mais uniquement à établir des faits répétés laissant présumer l’existence du harcèlement moral. Il doit étayer ses allégations par des éléments de faits précis et concordants.
Puis, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements, s’ils sont exacts, ne sont pas pour autant constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision a été justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Les agissements laissant présumer un harcèlement peuvent se prouver par tout moyen : des témoignages de collègues, des mails et des lettres envoyées à sa hiérarchie ou reçus d’elle, des mails de subordonnés ou de collègues, des entretiens d’évaluation qui attestent d’un changement radical de situation, une copie d’agenda pour prouver que la personne n’est plus conviée aux réunions où elle allait habituellement, tous documents révélant une différence de traitement avec les collègues, des sms,… etc.
La preuve peut également être rapportée en reprenant les indicateurs d’un risque psychosocial : la conjoncture de l’entreprise, en remontant cinq ans en arrière par exemple (structure familiale ou non, introduction éventuelle d’une nouvelle technique de travail, des difficultés économiques) ; le système d’évaluation des salariés ; le fonctionnement des circuits de communication (notes de service, entretiens, réunions, …) ; les lieux de travail et leur occupation ; l’absentéisme, ou le turn-over dans une équipe.
Enfin, les preuves sont souvent d’ordre médical : certificat de médecin traitant, trace de visites à la médecine du travail, copie du dossier de la médecine du travail, etc.
Que doit faire le salarié pour y mettre fin ?
Les possibilités du salarié vont être différentes suivant la taille de l’entreprise.
En tout état de cause, si un salarié se pense harcelé, il faut qu’il conserve les preuves et il ne doit pas rester silencieux.
Il peut dans un premier temps en parler à son entourage et à son médecin traitant, mais il sera ensuite préférable de prévenir la médecine du travail, laquelle pourra intervenir ou non auprès de l’employeur suivant le souhait exprimé par le salarié. Mais, même si dans un premier temps il demande à conserver la confidentialité de sa démarche, il y aura une trace dans son dossier.
Au surplus, si le médecin du travail a été avisé par plusieurs salariés, il sera d’autant plus sensible à la situation.
Il devra prévenir son supérieur si le harcèlement émane d’un de ses collègues.
Si la société est pourvue de représentant du personnel, il pourra les saisir et ces derniers déclencheront éventuellement une enquête, le cas échéant avec le CHSCT, afin de vérifier notamment la matérialité des faits de harcèlement dénoncés ; si l’employeur obtient assez d’éléments démontrant l’existence d’un harcèlement, il devra alors prendre toutes les mesures pour faire cesser au plus vite les faits et sanctionner le salarié qui en est l’auteur.
Parfois, l’employeur peut proposer un changement de service à l’un ou l’autre protagoniste, pour mettre fin à la situation de harcèlement, notamment si la situation ne lui semble pas assez avérée pour sanctionner.
Il est également possible de demander une médiation avec l’auteur des faits présumés, en application de l’article L1152-6 du code du travail. Le médiateur, choisi par les parties, tente de concilier les parties et leur soumet des propositions écrites en vue de mettre fin au harcèlement. En cas d’échec, la victime pourra saisir le conseil de prud’hommes.
L’employeur doit savoir que dès lors qu’un salarié demande une médiation, il ne peut la lui refuser, sauf à se mettre en tort.
Le salarié peut également saisir l’inspection du travail qui a la possibilité de se déplacer sur le lieu de travail, faire des constatations, vérifier les allégations du salarié, informer l’employeur et éventuellement l’enjoindre à faire cesser la situation.
Il est important de préciser qu’un salarié ne peut pas être sanctionné pour avoir dénoncé des faits de harcèlement qu’il a lui-même subi ou dont il a été témoin. La loi a instauré une sorte d’immunité. (Article L 1152-2)
En revanche, s’il est ensuite avéré que le salarié était de mauvaise foi, c’est à dire qu’il savait qu’il dénonçait faussement des faits de harcèlement, alors il pourra bien évidemment être sanctionné.
Avez-vous des conseils à donner à nos lecteurs pour prévenir le harcèlement moral au travail ?
Il ne faut surtout pas laisser la situation se dégrader.
Il faut communiquer et dialoguer le plus tôt possible, notamment avec les protagonistes cités précédemment (médecin du travail, employeur, représentant du personnel, mais aussi la famille et les amis), avant que la situation ait une conséquence sur la santé.
Les employeurs prennent-ils réellement en compte cet enjeu ?
Le code du travail prévoit que l’employeur « prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral » (Article L 1152-4) et le risque psycho-social doit être évalué au même titre que les risques physiques.
Dans les faits, les employeurs connaissent cet enjeu, mais souvent sans en mesurer réellement le risque, et notamment le risque pénal, en particulier les dirigeants de PME.
En général, plus l’entreprise a une taille importante, plus elle est sensibilisée à ce risque et plus elle a également les moyens de mettre en place des systèmes de prévention, notamment par des systèmes d’informations et de formations.
Mais, il est vrai que le harcèlement moral est une situation qui n’est pas toujours évidente à appréhender et à identifier pour les employeurs.
En revanche, il faut noter que la jurisprudence semble s’assouplir un peu en ce qui concerne la responsabilité de l’employeur.
Au cours des dix dernières années, la Cour de cassation a jugé à maintes reprises que, même sans faute de sa part, l’employeur devait être tenu pour responsable des faits de harcèlement commis par l’un de ses collaborateurs à l’égard d’autres salariés. C’est le principe de l’obligation de sécurité de résultat dégagée par la Cour de Cassation et dont l’obligation de prévention est le corollaire. (Cass. Soc., 29 juin 2006, n° 05-43.914)
De fait, la responsabilité de l’employeur était automatiquement engagée dès lors qu’un salarié était victime de harcèlement moral.
Or, la Cour de Cassation admet désormais la possibilité pour l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité, rejetant ainsi toute condamnation systématique, s’il peut prouver qu’il a respecté l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, c’est à dire les mesures de prévention prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du code du travail. (Cass., Soc., 25 novembre 2015, pourvoi n°14-24.444) (Cass., Soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702)
Que peut-on répondre à ceux qui avancent le fait que le harcèlement moral n’est pas forcément (toujours) intentionnel ? Existe-t-il des dérives ?
Contrairement à une idée reçue, pour être constitué le harcèlement moral ne nécessite pas l'intention de nuire de son auteur. (Cass., Soc., 10 novembre 2009, n° 08-41497).
Le Conseil de prud’hommes peut donc juger que le harcèlement moral est constitué indépendamment d'une volonté de harceler. (Cass., Soc., 7 juin 2011, n° 09-69.903)
En revanche, la situation est différente devant les juridictions pénales. Le harcèlement moral ne pourra être pénalement condamné que s’il peut être démontré l’existence d’un élément moral, c’est à dire que l’auteur a eu conscience du caractère illicite de son comportement.
Il existe effectivement des dérives. La notion de harcèlement moral est fréquemment utilisée dans le langage courant et parfois, voire souvent, de manière totalement abusive.
Il n’est effectivement pas rare d’entendre des personnes se plaindre d’être « harcelées ». Cependant, lorsque nous regardons de plus près les doléances du salarié, nous sommes parfois très loin de la notion juridique de harcèlement moral, même si les reproches formulés sont réels.
Méfions-nous des confusions ; tout comportement anormal d’un employeur ou d’un collègue ne correspond pas pour autant à du harcèlement. Notamment, toute situation de contrainte n’est pas du harcèlement.
Il ne faut pas confondre le harcèlement avec le pouvoir de direction et d’organisation de l’employeur, ou bien, avec le stress qui est une situation qui peut réduire l’efficacité au travail et également causer des problèmes de santé.
Le stress peut résulter du déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face.
Or, l’exercice de toute activité professionnelle conduit à lui seul à gérer des contraintes, à des difficultés relationnelles ou du stress qui peuvent être à l’origine de problèmes de santé, mais pas forcément du harcèlement.
Encore merci à Maitre Benedicte Litzler que vous pouvez retrouver sur son site : www.sbl.eu/fr