Pour une approche renouvelée du management des ressources humaines comme facteur clé de succès de l'entreprise. Jean-Yves Bück consultant RH et conférencier en France et à l’étranger retrace dans son ouvrage : des ressources humaines aux ressources de l'excellence : le guide RH pour changer l'avenir, sa vision de ce que devrait être un management des Ressources Humaines éclairé. Son premier objectif, et le plus important à ses yeux, est celui de redonner toute la place nécessaire à la dimension humaine de l’entreprise, seul facteur de différenciation, d’innovation et de succès durable. Cette dimension, il ambitionne de la positionner à travers un mode de management revisité.
Retour avec Jean-Yves sur les principaux enjeux de performances RH développé dans son ouvrage.
Selon vous la fonction RH devrait se structurer autour de cinq axes. Pouvez-vous nous les résumer ?
La GRH doit pouvoir s’articuler autour de nombreux axes, que l’on peut schématiquement résumer ainsi :
L’organisation du travail, pour en finir avec les conséquences dramatiques du management scientifique de Frédérick Taylor,
La qualité de vie au travail, pour redonner de l’envie et du plaisir, créer une ambiance et un climat propices à l’innovation, l’ingéniosité, l’investissement personnel, quelque soit l’emploi,
L’équilibre vie privée, vie professionnelle, afin de respecter les priorités de chacun,
La gestion des compétences, pour permettre un véritable ascenseur social et en finir avec l’iniquité,
L’actualisation des grilles de classifications et de qualifications, pour tenir compte des mutations sociétales, technologiques, numériques et reléguer aux archives des systèmes sclérosant et obsolètes,
Une politique salariale et des systèmes d’avancement qui tiennent compte de la performance tant individuelle que collective et favorise une culture du partage,
La formation professionnelle, pour qu’elle devienne un réel levier stratégique, un investissement qui s’apprécie et se mesure. Chacun doit pouvoir devenir l’acteur de sa propre destinée,
Et enfin les relations sociales, pour en terminer avec les incompréhensions et la lutte des classes. L’objectif est naturellement commun, faut-il le rappeler.
La fonction RH est-elle le « parent pauvre » de la stratégie globale de l’entreprise ?
La GRH est un domaine d’activités récent, longtemps considéré comme accessoire, poids de l’histoire, de l’ère industrielle, de la triste organisation scientifique du travail,…. Antérieurement nous évoquions les RH comme une annexe comptable, un simple service du personnel, principalement en charge de la paie et des embauches, souvent rattaché aux affaires administratives et financières. L’individu au travail était considéré comme une variable de production que l’on ajustait au gré des besoins.
A partir des années 1930, la fonction RH va progressivement acquérir ses lettres de noblesses, avec notamment les premiers travaux destinés à évaluer l’impact des relations humaines sur la productivité des personnels.
L’intégration de la dimension sociale et humaine dans l’entreprise et la prise de conscience de ses effets, datent en réalité du XX° siècle seulement et plus particulièrement à compter des années 1960. Historiquement elle est la conséquence de nombreuses revendications, de mouvements sociaux, d’une législation du travail qui va progressivement prendre en compte la santé et la sécurité des salariés,…
Aujourd’hui l’on parle davantage de gestion des RH, mais le terme même de gestion renvoi toujours à des notions « comptables ». Certes on ne peut exclure une part de gestion budgétaire notamment par la maîtrise du coût des emplois, de la formation, du turnover,… mais la fonction RH ne peut pas limiter son champ de compétences et d’investigations à ces seules notions comptables, aussi essentielles soient-elles.
Si ces dernières décennies ont permis de repositionner les RH dans l’entreprise et lui offrir la place qu’elle n’avait pas, elle est encore trop timorée et considérée par la plupart des organisations comme un mal nécessaire, non comme un levier de performance et d’innovation. Elle reste toujours le parent pauvre avec des staffs qui privilégient davantage le commerce, la production, la finance. Rare sont les entreprises, bien il y en ait, qui intègre les RH comme un levier stratégique à part entière. Le personnel est davantage considéré comme un « moyen » alors qu’il devrait être au contraire une source de progrès sur laquelle repose toute forme de développement, notamment à travers la qualité des relations interpersonnelles, la solidarité, l’œuvre collective, l’ingéniosité, le talent ou le potentiel innovant de chaque acteur.
Pour s’en convaincre, il suffit de s’interroger sur le nombre d’organismes qui couplent concrètement les compétences de leurs effectifs aux orientations stratégiques déployées. Le lien est encore difficile à faire, faute de connaissances, de savoir-faire ou de maîtrise. C’est d’ailleurs ce que je reproche à nos grandes écoles, qui sous dimensionnent ce domaine et ne préparent que trop superficiellement nos futurs managers, soit à affronter les réalités de la relation humaine dans le travail, soit à valoriser celle-ci pour en faire un atout concurrentiel majeur.
Pour autant, il est évident qu’il s’agit d’une tendance lourde et irréversible, notamment par la prise en compte des besoins des nouvelles générations, assurément moins accommodantes et moins fidèles que leurs prédécesseurs.
Pensez vous que la dimension humaine ai trouvé toute sa place au sein de l’entreprise ?
Pour certaines entreprises assurément, Microsoft France, Décathlon, McDonald’s, Leroy Merlin, PepsiCo, Google, pour ne citer que celles-ci. Ce sont des organisations où il fait bon vivre et travailler. L’individu est placé au centre des préoccupations des boards et au cœur de leurs stratégies. Leur développement passe par le bien être et l’épanouissement de leurs personnels, tout est fait pour que chaque activité puisse être une source de plaisir et non de frustration. Un tel climat est indéniablement propice au dépassement de soi même, à la réalisation de ses rêves aussi utopistes soient-ils, à la performance et à l’innovation.
L’individu est placé dans un espace de confiance et de réassurance perpétuel moteur de l’investissement personnel. Il est formé et informé, participe à la réussite collective et est considéré comme tel. Il n’est plus un facteur de production anonyme mais un acteur du succès.
Reste que ces entreprises sont encore trop rares pour en faire une généralité et un pré requis managérial. Les PME/PMI n’ont malheureusement ni le temps ni les compétences pour avancer sur cette dimension sociale, mais je ne désespère pas que leurs organisations professionnelles soient des précurseurs en la matière et incitent leurs adhérents à mutualiser leurs besoins. Certaines actions ont d’ores et déjà été lancées en ce sens, mais elles sont encore trop timides pour susciter une adhésion massive.
Pour autant c’est le tissu des PME/PMI qui est un des premiers créateurs d’emplois, il y a donc matière à faire en sorte que cette dimension soit un axe de travail à part entière en levant les obstacles, les peurs et les craintes des managers afin d’améliorer encore leur performance et leur compétitivité. Avec le renouvellement des générations, les mutations de la société, l’importance de l’image des employeurs, l’exemplarité citoyenne,… cette migration, vers de nouveaux modes de gouvernance est inéluctable. Ce n’est qu’une question de temps, de prise de conscience et d’apprentissage.
La gestion des ressources humaines ne se limite donc pas à l’application de quelques grands principes, mais concerne tous les compartiments de l’organisme. Elle incarne la gestion du succès comme celle de l’échec.
Le code du travail très complexe pour certains moins pour d’autre est-il paradoxalement un frein à la construction d’une fonction RH plus performante, plus proche des collaborateurs, des managers ?
Le code du travail est complexe pour tous les acteurs et se complexifie régulièrement. S’il est nécessaire de légiférer dans de nombreux compartiments sociaux afin de l’adapter aux mutations de la société, il n’en demeure pas moins vrai qu’il faut garder raison et faire en sorte qu’il soit accessible, voire plus simple de mise en œuvre. Les textes traitant de la Pénibilité en sont un exemple. Si l’idée est naturellement à essaimer, que dire des principes de déploiement.
En France, le législateur à la fâcheuse habitude, par excès de prudence, de tout codifier, considérant que les acteurs ne sont pas assez adultes. Certes, il y aura toujours des dérives qu’il faut réguler, mais je ne suis pas persuadé que vouloir tout réglementer soit la solution à tous nos maux, au contraire, l’on bride un système déjà en panne. Laissons un espace de liberté à chacun, accordons la confiance nécessaire aux partenaires sociaux et aux branches, inspirons nous des meilleures pratiques et nous y gagnerons en sérénité, en efficacité et en emplois.
Doit-on repenser nos modèles de management ?
Assurément oui. Il faut réadapter nos modes de gouvernance frappés pour la plupart d’obsolescence, dépassés par un monde qui n’a de cesse que de se déformer. Il nous faut gérer différemment la dimension humaine, notamment en dépoussiérant les conventions collectives, les classifications et les qualifications, en intégrant les compétences comme levier de performances, en redimensionnant la formation, en revisitant les principes de relations avec les partenaires sociaux, en favorisant la transversalité en lieu et place d’organisation pyramidale hiérarchique et routinière… il nous faut également réétudier les conditions de travail, la place des femmes dans l’entreprise, l’emploi des juniors et des séniors, les exigences de salariés mieux formés, la sempiternelle ancienneté qui pénalise les personnels âgés de plus de 50 ans, le partage de l’expérience ou les acquis qui n’ont plus lieu d’être.
Savez-vous que la France est un des seuls pays de l’OCDE où le salaire augmente avec l’âge, sans qu’il y ait de lien direct avec la création de richesses ?
Plus globalement, il faut adapter notre management aux changements sociétaux et à la mondialisation, à défaut, je crains que nous ne prenions un retard de compétitivité plus que préjudiciable. Nous devons être capable de changer de paradigme, faire table rase de méthodes passées qui sont sources d’insatisfactions pour faire de nos managers, tous nos managers y compris les lignes intermédiaires, des DRH à part entière, avec une vision, un projet, pas uniquement économique ou financier, mais socioéconomique. Il faut réapprendre la relation humaine, en finir avec une autorité hiérarchique et un pouvoir disciplinaire qui n’a plus réellement de sens, promouvoir l’autorité de compétences, plébisciter et reconnaître les mérites individuels, encourager la créativité, l’initiative, partager le succès et ses résultats. Redonnons du sens et de l’utilité à chacun pour créer du plaisir à travailler non des contraintes. Lorsque l‘entreprise doit faire face à des revers de fortune et des périodes chahutées, elle n’hésite pas à mettre à contribution ses salariés, lorsque le carnet de commande est saturé elle utilise des leviers comme la modulation,… que l’inverse devienne réalité lorsque la croissance est au rendez-vous.
La performance au travail devrait s’articuler autour de quels indicateurs ? Et s’agit-il finalement que d’une question d’indicateurs…
La performance d’une politique de GRH s’analyse à partir de nombreux indicateurs qui sont pour la plupart listés dans le tableau de bord figurant dans l’ouvrage. A chacun d’extraire ce qui lui est utile pour ensuite le piloter et mettre en place les actions correctives lors de dérives avérées. Reste que les indicateurs ne sont que le reflet d’une politique décidée bien en amont et la conséquence de pratiques partagées ou non par le plus grand nombre. Climat social, conflits, turn-over, absentéisme, débrayages, sous productivité, ces mesures de déficit pour utiles qu’elles soient n’en sont pas moins la contrepartie d’un management performant ou non. Tous les indicateurs sociaux sont utiles et nécessaires, mais combien d’entreprises disposent d’un tableau de bord commercial, financier, production, qualité et combien proposent un suivi qualitatif et quantitatif des RH, notamment dans les PME/PMI n’ayant pas de bilan social ? Très peu en réalité. Pourquoi implicitement refuse t-on de mesurer la performance sociale ? Parce que la collecte de l’information est délicate, assurément non. Tout simplement parce qu’il est difficile d’interpréter ces ratios, d’accepter une éventuelle remise en cause et que l’on ignore le résultat des actions à envisager pour agir à bon escient. Nos lacunes ne relèvent pas d’outils, mais de méthodes, de savoir-faire et de courage. Nos managers savent calculer un prix de revient, définir leurs ratios de productivité, organiser leur production, commercialiser leurs produits ou leurs services mais prennent peur des qu’il s’agit de s’adresser au Comité d’Entreprise ou à l’ensemble de leur personnel. A fortiori lorsqu’il faut annoncer des difficultés, un retournement de marché ou des erreurs manifestes.
Un dernier mot (conseil) pour conclure ?
En conclusion, nous sommes dans une période de transition mais aussi en rupture avec les modèles qui jusqu’à lors nous ont donné satisfaction. Il faut dès lors réinventer un management plus en adéquation avec ces évolutions, favoriser la dimension humaine, construire un modèle organisationnel qui soit à fois hiérarchique pour les décisions stratégiques et souple pour la gestion courante, promouvoir un dialogue social équilibré et transparent, créer les leviers d’une véritable adhésion collective et enfin redonner du sens et de l’utilité. La création de valeurs est le fait des individus, des équipes non des équipements aussi performants soient-ils. L’innovation vient du génie des hommes et des femmes qui constituent chaque organisme. L’entreprise de demain sera une judicieuse alchimie entre l’utilisation de la technologie et son adaptation permanente, un système organisationnel permettant l’émergence de tous les talents et un management éthique, facilitateur, visionnaire, humaniste, qui suscitera l’adhésion du plus grand nombre. Le monde a changé et va encore se transformer, mais à une cadence accélérée et sans rapport avec ce que nous avons connu jusqu’à lors. Les prémices de ces mutations sont visibles et les entreprises, doivent d’ores et déjà s’y préparer car il s’agit de tendances irréversibles. Il est une évidence que les ressources humaines seront au cœur de l’organisation pour devenir un axe stratégique à part entière. La performance économique de nos entreprises va dépendre de l’attention que nos managers vont accorder à ce redimensionnement et le nécessaire réapprentissage social des modes de gouvernance. Il va falloir apprendre à réapprendre et remettre en cause nos acquis pour utiliser avec un maximum de satisfaction partagée, l’extraordinaire richesse que constitue les hommes et les femmes qui composent chaque entreprise. Créons du plaisir, non de la frustration et nous créerons une multitude de performances pour la plus grande satisfaction de tous.
Un grand merci à Jean-Yves Bück pour cette interview forte d'enseignements. Pour commander son ouvrage, c'est par ici.